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J’ai testé cet été, pendant les deux mois où j'ai travaillé en boutique. Un poste de vendeuse où il fallait impérativement parler l'anglais (au minimum) et accepter de tenir seule la boutique. Un temps complet payé 9 euros bruts de l'heure ça donne 1365 euros bruts et 1073 euros nets. Soit 7,06 euros net de l'heure avant impôt éventuels sur le revenu - 49,61 euros net par jour travaillé (base de 7 heures par jour). On est déjà tout près du seuil de pauvreté fixé à 954 euros (chiffre le plus souvent retenu - voir le lien vers l'observatoire des inégalités).

 

Là dessus je n'enlève pas les frais de transports pour venir travailler et les frais de déjeuner. Je n'avais ni ticket restaurant, ni endroits pour déjeuner sur place ou conserver la nourriture dans de bonnes conditions, ni le temps de rentrer chez moi : j'ai fait un overdose de sandwich et de bananes. Quant au café du bar d'en face, même au prix "spécial commerçant" de 1.5 euros, j'ai vite appris à me limiter. Les rares fois où j'en prenais un, je me disais "là, tu travailles 1 heure pour 5.56 euros de l'heure finalement, en t'offrant ce petit plaisir...". Ca me calmait direct!

 

Preuve que la situation est intenable, le SMIC a augmenté de 2,1% le 1er décembre 2011 (soit 9,19 euros brut de l'heure/1394 euros mensuels bruts et 1094 euros nets pour un salairé à temps complet). Il ne s'agit pas d'un cadeau de Noël du gouvernement, mais d'une augmentation automatique obligatoire. En effet, dès lors que l'Indice des Prix à la Consommation (IPC) augmente de plus de 2%, ce qui a été le cas en novembre 2011, le montant du SMIC doit s'aligner. Cette augmentation permettra donc, au mieux, aux Smicard de ne pas perdre sur leur pouvoir d'achat déjà au plus bas...Quant à l'augmentation de 0,3% prévue au 1er janvier 2012 (9,22 euros bruts de l'heure), elle ne constitue qu'une obligation légale...

 

Je n'ai pas mal vécu cette période parce que je savais qu'elle était temporaire; et que je l'ai pris comme une expérience qui allait m'enrichir et me permettre de mieux comprendre ce que vivent un certain nombre de salariés (je n'ai pas trouvé de chiffres récents sur le nombre de personnes concernées. Le journal Métro parle de 2,3 millions de salariés, mais impossible de trouver la source).

 

Ce que j'en retire? Avec le SMIC pour seul revenu :

 

- si on vit seule avec un logement à charge, il est impossible de vivre décemment;

 

- cela demande beaucoup de système D, des calculs permanents, des sacrifices au quotidien..et pas de dépenses imprévues qui viendaient perturber un équilibre précaire;

 

- les salariés concernés sont souvent ceux qui occupent des postes pénibles et peu, voir pas valorisés. Dès lors, comment trouver les ressources pour partir et changer soi même quand on exerce un métier à plein temps, qui nous prend une énergie considérable, et que l'on doit gérer un quotidien précaire? Une routine "galère" s'installe dont on peut vite se sentir prisonnier, sans réussir à voir les choix qui s'offrent à nous;

 

- qu'il est difficile de rester motiver très longtemps sur ce genre de poste. Surtout quand j'ai rapporté les recettes réalisées (plus de 10 000 euros en vendant des produits fabriqués directement par l'employeur dans ses usines) à mon salaire. Et aucun moyen d'arrondir les fins de mois : que je vende peu, bien ou très bien, aucun impact sur mon salaire. Au bout de quelques semaines, je me suis vue me mettre à respecter à la lettre mes horaires et à ne plus faire que ce pour quoi j'étais vraiment payée. Et pas de rab, de tâches en extra ou de zèle, comme j'avais l'habitude de le faire avant. C'est venu insidieusement, petit à petit jusqu'à me dire "à quoi bon faire plus, de toute façon en fin de mois, cela ne change rien pour moi et aux vues des conditions de travail et de salaire, je ne vais pas me défoncer pour faire gagner plus à mon employeur (qui enregistre un chiffre d'affaire de plus de 10 000 000 d'euros sur 2010)..." Passé un temps, je n'aurais ni compris ni accepté ce discours : maintenant si!

 


Pendant cet été, je me suis demandée si ceux qui fixent le montant du SMIC ont jamais essayé de vivre avec cette somme. J'en doute fort, mais ce serait pas mal de leur proposer l'expérience. En cherchant sur le net, j'ai cependant trouvé une personne qui a essayé... en Italie. Un entrepreneur qui, pendant un mois, a tenté de vivre et de faire vivre sa famille avec le salaire de ses employés. Je vous laisse découvrir

 


Je passe sur le commentaire de fin du journaliste qui tendrait à ramener la décision de cet entrepreneur à une simple mesure de publicité...Je ne le crois pas. Ce genre de démarche me parait motivée par quelque chose de plus profond qu'un simple calcul économique!
Peut être qu'il a "simplement" pris en compte qu'au délà des colonnes de chiffres et des coûts, il employait des êtres humains. Qui, en travaillant à temps complet, ne gagnaient pas assez pour vivre correctement. Et qu'il pouvait les augmenter sans pour autant mettre son entreprise en péril. En acceptant de revoir ses priorités et d'accepter une baisse éventuelle de son chiffre d'affaire.
Peut être qu'il s'est simplement dit qu'il était important aussi d'avoir des personnes bien dans leurs pompes au travail. C'est plus agréable pour tout le monde et cela impacte directement les fameux bilans et autres baromètres économiques. Car le mal-être, la démotivation, la perte d'implication et d'intérêt pour son travail sont autant de coûts invisibles poour une entreprise. Malheureusement, ils ne sont encore que trop rarement ignorés, ou pris en compte "sur le papier", mais pas dans la réalité.
J'aimerais bien savoir la suite des aventures de cet entrepreneur et de ses salariés. Je vais essayer d'enquêter. En attendant, si vous avez envie d'en découvrir plus sur le quotidien des salariés précaires qui enchainent les missions d'intérims et les CDD, cumulent des petits boulots à temps partiel pour essayer de joindre les deux bouts, lisez "Sur les quais de Ouistreham" de Florence Aubenas. Elle s'est glissée pendant plusieurs mois dans la peau d'une jeune femme à la recherche d'un emploi, sans expérience ni qualification particulière à l'exception de son bac.  Elle raconte son parcours, les galères, le quotidien, ses rencontres... Elle rencontrera majoritairement des femmes, plus confrontées à la précarité que les hommes. Mais là n'est pas le débat : que nous soyons homme ou femme, la situation est intenable pour tous ceux qui la vivent.
Tag(s) : #Partage d'expériences
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